Hero skateur

 https://www.slate.fr/story/248210/39-ans-repris-skate-combattre-crise-quarantaine-skateboard-age-vieillissement-sport-glisse

 

J'ai repris le skate pour combattre la crise de la quarantaine

À 39 ans, je suis remonté sur une planche parce que je ne voulais pas devenir vieux. Je suis nul, je me fais mal, mais ça me rend heureux.

En redécouvrant le plaisir simple de plaquer un ollie, j'ai la sensation de me reconnecter avec l'adolescent que j'étais à 12 ans. | ConvertKit via Unsplash
En redécouvrant le plaisir simple de plaquer un ollie, j'ai la sensation de me reconnecter avec l'adolescent que j'étais à 12 ans. | ConvertKit via Unsplash

La scène se passe au skatepark de Douarnenez, petite ville portuaire du Finistère sud. On est en avril 2023. Perché en haut d'un module, skate au pied, je m'élance. Je prends un peu de vitesse et je ne négocie pas trop mal la première courbe qui se présente à moi. J'aborde donc la deuxième avec confiance et optimisme. Grave erreur. Je pense avoir assez de vitesse pour effectuer un beau virage, mais ce n'est pas le cas. Je m'étale brutalement.

À 39 ans, je redécouvre la douleur particulièrement vive que provoque une chute de skate. Pendant quelques secondes, en gémissant, je reconsidère les décisions qui m'ont entraîné dans cette situation. Une conclusion, limpide, ne tarde pas: «Tu fais ta crise de la quarantaine, Benjamin.»

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Des indices, pourtant, auraient dû me mettre la puce à l'oreille. En quelques mois, j'ai abandonné un CDI confortable à Radio France, j'ai déménagé dans le Finistère sud, ma femme et moi nous sommes séparés et je me suis mis au surf. Mais c'est cette décision irrationnelle de me remettre au skateboard qui m'a fait pleinement comprendre que je traversais cette fameuse «midlife crisis», comme disent les Anglo-Saxons.

Faire ralentir la grande et inexorable roue du temps

Comment en suis-je arrivé là? Très simplement. J'ai deux enfants, qui ont 7 et 8 ans. Afin de les occuper, je les accompagne régulièrement dans les skateparks du coin, pour qu'ils puissent faire de la trottinette. Pendant qu'ils découvrent les joies de la glisse, je m'assois misérablement sur un banc, avec d'autres parents, et je m'ennuie. Je regarde avec envie les jeunes s'amuser sur ces superbes équipements publics qui ont poussé comme des champignons ces dernières années.

En rêvassant, je me souviens avec nostalgie de mes propres années skate, au collège. On était beaucoup moins bien lotis en termes de skateparks. Habitant à Brest à l'époque, je devais faire une demi-heure de bus pour avoir accès à une mauvaise mini-rampe en bois, qui pourrissait tranquillement dans le parc désert d'un bled paumé. Aujourd'hui, la moindre petite commune rurale a son skatepark. J'en ai récemment dénombré près d'une vingtaine dans un rayon d'une demi-heure autour de Douarnenez.

Assis sur ce banc, je me sens vieux. Autour de moi, une frontière invisible mais bien réelle. D'un côté, les jeunes. Souples et plein d'avenir, ils roulent sur leurs trottinettes, leurs skates ou leurs rollers, sourire aux lèvres et adrénaline dans le sang. De l'autre, les tristes darons, noyant leur ennui en scrollant sur leurs smartphones. Leçon de vie, pourrait-on se dire. La grande roue du temps suit son cours inexorablement. Un jour, tu skates. Le lendemain, tu attends la mort en lisant des tweets.

Mais un jour, ce grand principe s'est retrouvé sérieusement ébranlé par l'arrivée de ce qu'il faut bien appeler un héros. Un homme d'une bonne quarantaine d'années. Plus sportif que moi, certes, mais plus âgé que moi. Contre toute attente, il ne s'arrête pas au banc des darons –son territoire légitime– mais continue son chemin. Il s'équipe d'un casque, de protections et se met à skater. La grande roue du temps s'arrête alors, hésitante. La frontière invisible s'éclipse discrètement. Le doute apparaît. S'il skate, alors, peut-être, moi aussi? Je peux skater? Inspiré par le héros, je n'ai pas été long à me racheter une planche et à me remettre à mon tour à glisser sur le béton. Quel bonheur! Me voilà replongeant dans des sensations que je pensais perdues.

«Réveil de la quarantaine»

Au cours des semaines qui ont suivi, je me suis rendu compte que j'étais loin d'être le seul à vivre ce retour au skateboard. J'ai rencontré plein de types comme moi, tout aussi heureux de se retrouver sur une planche à roulettes. En discutant avec eux, je me suis rendu compte que le schéma était presque toujours le même. Anciens skateurs ou amateurs de sports de glisse, c'est en emmenant leurs enfants au skatepark qu'ils ont pris conscience qu'ils pouvaient, eux aussi, pratiquer.

Mais le phénomène ne s'arrête pas au Finistère sud. Il est planétaire. Le New York Times lui a consacré un article en 2012. On peut y lire le témoignage d'un certain Tom, 47 ans, qui a repris le skate deux ans auparavant: «C'est complètement une crise de la quarantaine. Mes enfants ont vieilli, alors j'ai pris un chien. Mon chien a vieilli, alors j'ai pris un skateboard.»

Le retour des darons skateurs a également été remarqué à Los Angeles. Scott, 52 ans, assure que «rien ne vaut la manière dont le skate [lui] fait [se] sentir jeune». Il parle, lui, de «réveil de la quarantaine». À Londres, Lisa, 40 ans, explique qu'elle a deux enfants «avec des besoins spéciaux» et qu'elle est «la principale source de revenus de sa famille». Quand elle skate, elle est «tellement concentrée sur l'apprentissage d'une nouvelle figure et sur le fait de ne pas tomber», qu'elle n'a pas de place pour s'inquiéter «de quoi que ce soit d'autre».

Sur Facebook, les quadras skateurs ont leur repère: le groupe «Skaters Over 40 That Actually Skate». Les quelque 10.000 membres y postent leurs figures, leurs chutes, leurs doutes et leur foi en ce sport. On peut prendre l'exemple de Jeremy, un Italien qui vit au Vietnam et qui vit le phénomène avec une intensité particulière. «Je m'appuie sur ma crise de la quarantaine pour tenter le tout pour le tout», explique-t-il dans un post. Non-content d'avoir repris le skate, Jeremy veut désormais construire son propre skatepark. On lui souhaite le meilleur.

Retrouver un état d'esprit, une communauté, une culture

Le niveau de certains sur ce groupe Facebook est franchement impressionnant, étant donné l'âge de leurs articulations. Mais d'autres sont aussi mauvais que moi. Là n'est pas l'essentiel. Tout le monde s'encourage. La bienveillance règne. On retrouve l'aspect communautaire et fraternel de cette discipline, qui nous attirait déjà quand nous étions adolescents. Mais est-ce que ça marche? Est-ce qu'on peut remplir, grâce au skate, ce vide qui nous frappe quand on dépasse le cap de la moitié de sa vie?

Il semble que oui, selon une étude anglaise qui s'est penchée sur le sujet. Le sociologue Paul O'Connor (qui a beaucoup écrit sur le thème) y compare la reprise du skate à une quête spirituelle. Dans un article du Guardian de janvier 2022, il assure que ça peut aider «à trouver un sens à la vie, à trouver une communauté et un sens du rituel». Il conclut que c'est un bon moyen de combattre la dépression et la crise de la quarantaine.

Pour ma part, je décrirais cette redécouverte du skate comme une reconnexion. En redécouvrant le plaisir simple de plaquer un ollie, j'ai la sensation de me reconnecter avec l'adolescent que j'étais à 12 ans. Alors que je passe sur l'autre versant de la vie, celui qui se termine par l'inexorable et déplaisante conclusion, j'ai l'impression, en skatant, de faire un retour en arrière spirituel, vers une source d'énergie et de joie. Combien de temps cela peut-il durer? Après quelques semaines de pratique intensive, je connais la réponse: ça durera aussi longtemps que mes genoux. Je dois avouer qu'ils sont fatigués.

Le matin, quand je me lève et que je déploie mes jambes pour la première fois, la roue du temps –sans doute vexée– se rappelle à mon bon souvenir. Par curiosité, j'ai regardé le contenu du groupe Facebook des «Skaters Over 50» et je note qu'on y voit plus de posts nostalgiques que de vidéos de figures. Une phrase bien connue de la culture skate résume la situation. On n'arrête pas le skate parce qu'on est vieux, on devient vieux parce qu'on arrête le skate. Me voilà prévenu.

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